Ancien lecteur WBI en Hongrie, j'ai eu l'occasion d’œuvrer pour la Fédération Wallonie-Bruxelles au cœur du dispositif de promotion de nos lettres et de notre culture à l'étranger. Face au rayonnement de la France à travers ses Instituts français de par le monde, la tâche ne manque pour les Wallons et les Bruxellois quand il s'agit de mettre en relief nos talents littéraires, artistiques et cinématographiques. À ce titre, notre énergie doit se focaliser sur notre singularité de francophones, ressortissants d'un pays qui, hasard de l'Histoire, touche la France sans que cette dernière puisse prétendre l'assimiler.
Mais si l'on ne peut se satisfaire de marcher dans l'ombre d'un grand partenaire, le rôle des lecteurs WBI ne peut pas non plus se limiter à sortir la création Wallonne et Bruxelloise de l'ombre que la France pourrait lui faire. Car il s'agirait, en l'occurrence, de nous définir par rapport au voisin, voire, pire, de nous risquer à une compétition stérile. Au contraire, en mettant en lumière notre singularité et en la réaffirmant à l'instar de nos partenaires québécois ou suisses, nous contribuerons à renforcer notre identité et à nous forger une image clairement identifiable à l'étranger : on peut être francophone sans être français.
En quittant mes fonctions à l'Université Eotvos Lorand de Budapest, je pensais que la visibilité de la Belgique francophone en tant qu'acteur autonome de la création de langue française, évoluait dans le sens d'un rayonnement sans cesse croissant. Pourtant, en réintégrant mes fonctions dans l'Education Nationale française, force me fut de constater qu'il demeurait un chantier immense : celui de la légitimité de nos lettres dans le système scolaire hexagonal.
Un simple exemple étaiera mon propos : alors que je préparais un cours de poésie, je remarquai en feuilletant un manuel d'usage courant dans les classes que les auteurs francophones africains se voyaient attribuer une notice biographique spécifique, laquelle ouvrait naturellement le propos sur la diversité de la francophonie. Au contraire, de Jacques Brel et Maurice Carême n'apparaissaient que les dates de naissance et de mort. Par omission, deux de nos fleurons se trouvaient assimilés à la culture française sans qu'aucune mention fût faite de leur pays d'origine, le nôtre ! Il ne faut guère voir de la part de nos amis français la marque d'une quelconque malice, mais plutôt la conséquence d'une intimité si ancienne que nous en perdons nos repères distinctifs, telle l'épouse qui, si talentueuse qu'elle fût, se force à vivre dans l'ombre d'un grand homme.
Mais l'absence de malice ne nous dédouane pas de nos responsabilités : ainsi qu'Amélie Nothomb ou Stromae qui ne manquent jamais d'imprimer la marque d'une certaine Belgitude sur leur œuvre, les passeurs de culture, enseignants, essayistes, universitaires, acteurs culturels, devraient se faire une loi de rappeler les bornes de leur héritage. Loin de consister en une stratégie de l'exclusion de l'autre par l'auto-enfermement, il s'agit, a contrario, d'un travail de fondation de notre identité auprès de nos partenaires, Français, francophones, Européens, qui puisse servir d'assise à une saine innutrition mutuelle.
Dans la pratique, la tâche se résume à peu de choses : si nous revenons à notre vieux Carême, loin de nier tout lien entre le poète et la France, il nous suffit d'affirmer avec la sérénité de l'évidence qu'il était wallon. Quant à notre ami Brel, il chantait Bruxelles, ses rues, ses mots, son accent. Ni plus ni moins.