Lorsque, dans les Seventies, vous grandissez dans une petite ville wallonne, vous ne regardez pas uniquement en direction de Bruxelles car, géographiquement, vous vous trouvez à un jet de pierre d'autres capitales. Vous regardez donc très naturellement Anvers, Londres, Paris, Berlin (ou encore Düsseldorf car vous pressentez que Ralph Hütter et Florian Schneider sont en train d'inventer la forme musicale populaire qui, en occident, sera dominante au début du XXIe siècle).
A mes yeux, cet état de fait est un TRESOR EN SOI. On ne dit pas assez souvent qu'une caractéristique culturelle majeure de la Wallonie est d'être naturellement perméable aux multiples influences extérieures. Certes, d'un point de vue historique, c'est bien malgré elle qu'elle a subi les influences de ses nombreux envahisseurs mais, fait remarquable, elle a aussi été capable de s'en émanciper en devenant une terre d'ouverture et d'accueil. Une terre où la différence ne fait pas peur, un terre à partir de laquelle on est encouragé à explorer le monde. Si vous vivez en Wallonie, vous prenez conscience que le fait d'avoir les pieds ici ne vous empêche en rien d'avoir la tête ailleurs.
Mais comment tenter de bien vous faire percevoir cette spécificité culturelle wallonne? Comment rendre compte de ce que cette spécificité peut vous apporter? Il me semble que le plus simple est de commencer par témoigner de mon expérience personnelle... Si je réfléchis aux raisons qui ont fait que mon épouse — née à Tongeren — et moi avons choisi d'acheter une maison dans la rue où, gamin, je m'écorchais les genoux en jouant au football avec les voisins, je dois dire que ce n'est pas uniquement pour le charme du quartier puisque, comme ailleurs, il en a temporairement perdu une partie avec l'explosion du trafic automobile urbain; c'est surtout pour le très bel état d'esprit qui règne dans nos contrées. Cet état d'esprit, je le définirais comme cette liberté communément partagée de s'enrichir de ce qui n'est pas local.
Pour illustrer mon propos, ci-dessous, je retranscris un extrait d'un des rares textes (partiellement explicatif de la première partie de son parcours artistique) que David Bowie a rédigé en 2001, à l'occasion d'une des éditions de l'ouvrage Blood & Glitter du photographe Mick Rock. D'aucuns pourraient considérer que, ce faisant, David Robert Jones révèle une forme larvée de chauvinisme mais il me semble qu'il parvient surtout à mettre en évidence cette aptitude à regarder ailleurs tout en reconnaissant ce qu'il y a de bien ici (en l'occurence sa terre natale). Voici: "... Yes, we loved American underground music and John Rechy's City of Night but we really did have our own drag queens and drugs in London, thank you very much. We also had a Clockwork Orange, Lindsay Kemp, George Orwell and Nietzsche, Yamato Kansai (one hundred percent responsible for the Ziggy haircut and colour, by the by), Mishima's gay army and Colin Wilson to draw upon. (I could list ad nauseam, and have been known to do so, as the ingredients for high-glam were dizzyingly disparate)".
Si j'aime vivre en Wallonie, c'est principalement parce que cette terre — même depuis ma petite ville ! — m'a toujours donné accès à ces ingrédients disparates venus d'ailleurs que cet artiste qui n'a pas connu de frontières évoque sans la moindre ambiguïté.
Je viens de vous parler du passé. Alors je sais que vous pourriez me dire qu'aujourd'hui, avec l'Internet, toutes les régions — quoique... — ont accès au patrimoine informationnel mondial. C'est vrai, mais cela ne vous dispense pas de savoir pourquoi vous regardez ailleurs. Ma conclusion est la suivante: culturellement, le contexte wallon ne m'a pas seulement appris à regarder ailleurs, mieux, il m'a appris à regarder exactement là où je voulais. Je considère que c'est une compétence que j'ai forgée grâce à la richesse de la vie collective wallonne bien plus encore qu'aux excellents enseignements dont j'ai eu la chance de bénéficier à Namur et à Bruxelles. C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, j'attends toujours avec la même impatience le prochain post #IMANDAILY.
Charles Angelroth (charles.angelroth@unamur.be)
Université de Namur
En charge de l'internationalisation de projets R&D