Nos artisans : Un Savoir Faire insoupçonné ! Obtenteur de roses et sculpteure de pétales !
Depuis quelques années, je me suis pris de passion pour les beaux gestes et les gestes rares. C'est que nos régions regorgent de talents insoupçonnés et parfois de réputation mondiale. Ils sont là, discrètement installés dans leurs ateliers : nos artisans d'Art font des merveilles qui n'échappent pas aux spécialistes. Mon but est de les recenser. Ce travail photographique à la base donne lieu à un site internet entièrement consacré au travail manuel d'exception.
Mon dernier article en date présente Daniel Schmitz et Alexia Franck. Ce sont des amoureux inconditionnels des roses ! Retrouvez l'article complet et les compléments d'images sur mon site www.lesmiroirsdelombre.com
Patrice Niset - juillet 2018.
Ce sont les poupées d'Alexia Franck qui m'ont amené à Daniel Schmitz. Daniel produit, Alexia sculpte ! Obtenteur de roses ? Autant dire que je n'avais aucune idée de ce qui se cachait sous ce terme. Créateur de roses, c'est plus clair mais moins poétique. Gardons obtenteur et essayons de comprendre comment ces deux là en sont venus à vouloir ainsi jongler avec les végétaux pour notre plus grand plaisir.
Daniel Schmitz : les Rosiers du Temps Passé !
Tout commence à Stavelot dans le jardin de la ferme de la grand-mère de Daniel. Un potager, des fruits et deux rosiers. Avec l'interdiction d'accéder à ce jardin d'Eden. Sauf que Daniel en bon gamin des campagnes brave les interdictions et se voit contraint de se cacher quand sa grand mère sort. Les rosiers sont de parfaits écrans et c'est le nez collé aux roses qu'il fait connaissance avec le parfum enivrant des fleurs. Tout était écrit. La mémoire olfactive est un des sens les plus puissants. Dans sa première vie, le stavelotain est facteur mais jamais bien loin de la terre. Des années plus tard, Daniel s'essaie à la plantation des roses avec beaucoup de déception, il ne se passe rien, pas d'émotion. Les roses "industrielles" sont fades et sans caractère. Ce n'est que plus tard en Angleterre, au beau milieu d'un "Garden" que la magie va opérer.
"Un truc m'est passé sous le nez, j'ai suivi et j'ai été guidé vers une série de rosiers qui m'ont ramené en enfance". Ce sont ces premiers achats qui vont conditionner le reste de sa vie d'horticulteur. Chaque rose achetée en Angleterre était revendue en Belgique pour financer les suivantes et ainsi démarrer la roseraie actuelle. Les petits ruisseaux allaient produire de grandes rivières.
"J'ai lu quatre fois d'affilée le roman de Patrick Süskind, Le Parfum. Ce roman évoque l'étonnant destin de Jean-Baptiste Grenouille, qui possède un sens olfactif incroyable. Ses aventures se déroulent en France au XVIII ème siècle. J'ai des roses à cause du parfum. Après des années de recherche, j'ai retrouvé les deux rosiers de mon enfance : Charles de Mills & un rosier Rugosa. La palette des parfums est bien plus large que celle des formes".
Et en une trentaine d'année, Daniel Schmitz est ainsi devenu LE spécialiste des roses dans le royaume. Non content de maîtriser la connaissance des roses, il décide d'en créer.
LMdO : Parlez-nous de votre métier d'obtenteur de roses ...
Daniel Schmitz : Lors d'un congrès à Lyon dans les années 2000, un obtenteur américain était en conférence et nous a prodigué ce conseil simple qui m'a interpellé : "Messieurs les obtenteurs, réapprenez à laisser faire la nature". Tout créateur de roses prend du pollen du père pour aller le déposer sur le pistil de la mère, il note tous ces croisements et puis il attend patiemment d'obtenir des choses intéressantes ou pas. Son outil de travail principal est une simple paire de ciseaux qui l'aide à récolter le pollen. Cette méthode un peu scientifique ne me parlait pas. J'ai donc appliqué son conseil. Dans ma nurserie, les plantes sont mises en présence l'un de l'autre et je laisse faire le travail de pollinisation aux insectes. Mon travail est donc très peu intrusif pour les plantes et pour dire vrai, il est assez "invisible". J'ai d'ailleurs commencé en cachette. Personne ne savait je que je tramais dans mon coin avec ces quelques premiers rosiers qui germaient.
LMdO : Et "Belle des Fagnes" finit par voir le jour ?
DS : Le résumé est un peu court mais en 1984, effectivement, je sors mon premier rosier commercialisable. J'ai eu pas mal de chance dans la mesure où le processus de mise au point a été rapide. Fort de ces encouragements, j'ai commencé à travailler sur plusieurs projets en même temps mais la nature m'a rappelé à l'ordre en reprenant ses droits : les gelées ont anéanti 6 à 7 ans de travail et de recherche. Passé le choc, j'ai considéré que c'était écrit et surement pas vide de sens. Et en effet, la place laissée dans la serre allait m'orienter vers un australien qui allait bouleverser ma vie et ma serre ...
LMdO : Le fameux Warren Millington ?
DS : On l'appelle le magicien. J'ai 150 variétés de lui à la pépinière. Il révolutionne le monde des roses comme Austin dans les années 60. Sa capacité créatrice sidère l'ensemble de la profession. J'ai créé une quinzaine de variétés là où il en a créé 150. C'est tout simplement hallucinant, d'autant qu'il ne sacrifie rien sur l'autel de la productivité. Ses créations sont d'une qualité et d'une variété exceptionnelles. La puissance des parfums est aussi impressionnante que leur délicatesse, c'est un vrai tour de force. Je suis admiratif et reconnaissant de son travail.
LMdO : Et vous finissez par revenir à la création, sous les encouragements de Warren ?
DS : Je présente cette année un nouveau rosier, un bébé qui n'a pas encore de nom. C'est le quinzième ! Après maintes observations, je valide les nouveaux rosiers commercialisables, ils doivent être costauds, résistants, parfumés, jolis à l’œil. Ce n'est qu'après plusieurs années de tests et de production que l'on peut être sûr de son bébé. En général, 5 à 7 ans sont nécessaires. J'observe certaines roses qui sont en fleur avec d'autres voisines. J'imagine que mes abeilles ou mes bourdons vont passer d'une rose à l'autre et aider la nature à créer des croisements que j'imagine intéressants. Je marque la fleur, j'en récolte la graine que je congèle. Au printemps, je les mets en pot pour lancer la germination. Ensuite, ce n'est que de l'observation et pas mal de chance. Quand le processus de mise au point est abouti, je multiplie les plantes simplement en les greffant. On cherche par la graine et on multiplie par la greffe.
LMdO : Quelle est la part de votre maîtrise dans le processus de création d'une rose ?
DS : Elle est faible. Je peux orienter la forme de l'arbuste ou du grimpant en deux, ce sera la forme et la grandeur de la fleur, la teinte viendra en troisième position. Le parfum quant à lui est pratiquement impossible à prédire.
LMdO : Vous insistez sur le terme des Roses du Temps Passé, c'était mieux avant ?
DS : Les roses industrielles destinées aux fleurs coupées sont des morts vivants. On les cultive pour leur tige longue, leur fleur et un peu pour leur parfum. Le tout à grand renfort de pesticides. Leur avenir est derriere elles. Ces roses ne sont pas destinées à rentrer dans un jardin. Chez moi, les roses sont promises à un avenir certain. Je veille sur un patrimoine qui est en perpétuelle évolution. Les obtenteurs créent du beau, du vivant, pas de la spéculation. Comme tout le monde, nous devons nous protéger des maladies et des insectes. Je ne travaille qu'avec des produits naturels sans chimie. Ma recette est à base de lait, d'huiles essentielles et d'homéopathie.
LMdO : Vous devez encore baptiser la petite dernière ?
DS : Bon nombre de roses ont été baptisées du nom d'un personnage célèbre ou d'un lieu prestigieux. Ce n'est pas le reflet de leur âme. Les noms que je leur donne me sont directement suggérés par les roses elles mêmes. J'attends qu'elles me parlent pour en décider. Les agendas ne sont d'ailleurs pas toujours synchronisés puisque je n'ai toujours aucun signe de ma dernière création qui ne m'a pas encore soufflé son nom de baptême. Je dois faire le vide pour me mettre dans les conditions. "Doux Coeur" par exemple est venu comme une évidence tant cette rose parvient à m'apaiser. Quand on est proche de la nature c'est finalement facile d'être à son écoute.
Les créations de Daniel Schmitz : Jacques Cartier - Légère Surprise - Pure Liberté - Doux Secret - Jardins d'Aywiers - Délicieuse Gourmandise - Elégante Danseuse - Joyeuse Farandole - Jolie Dentelle - Eglantine des Fagnes - Belle des Fagnes - Mme Christiane Jacquet.
Alexia Franck : les poupées de l'atelier Blush Noisette !
Depuis toujours Alexia côtoie les roses. Son père les cultive depuis des décennies et elle a toujours connu des jardins extraordinairement fleuris. C'est quand elle quitte la maison qu'elle se rend compte que quelque chose lui manque dans son quotidien. Il n'a pas fallu longtemps pour que les roses reviennent dans sa vie. Etant trop souvent à l'intérieur dans l'atelier de peinture, elle se surprend à aimer travailler la terre du jardin grand comme un mouchoir de poche qui jouxte son atelier. Elle aime à le voir s'épanouir. Devant les rosiers, elle s'émerveille de les voir fleurir des mois durant. Portraitiste animalière dans un premier temps, l'ennui lié à la répétition de la tâche va l'amener à tout abandonner. C'est le meuble peint qui va prendre le relais. Chiner, trouver, restaurer, créer, ce sont les moteurs de sa créativité. L'atelier emprunte d'ailleurs déjà son nom à l'univers des roses : la Blush Noisette !
Jeune créatrice et jeune maman, Alexia imagine des ateliers créatifs pour sa fille et ses copines. Comme une évidence, elle recueille des pétales de roses au jardin et les fait sécher pour s'en servir comme matière première pendant les ateliers de bricolages des enfants. C'est là que le déclic va se faire : l'univers artistique d'Alexia regroupe trois passions : la rose, les poupées de collection et la mode poétique et extravagante qui caractérisait le XVIIIème siècle. Comme une évidence elle recueille des pétales de roses au jardin et les fait sécher pour s'en servir comme matière première. La première poupée que Alexia imagine est faite de papier sur lequel elle colle simplement les pétales séchés, sans technique ni préparation particulières.
Si l'idée lui semble bonne, elle n'est nulle part techniquement. La fleuristerie, l'art du séchage, elle doit tout apprendre. La première poupée sortira quelques semaines plus tard mais sa fragilité et le manque de technique auront raison de sa pérennité. La passion va faire le reste. S'occuper du jardin, travailler la technique des poupées, en quelques mois cette activité allait occuper une place centrale dans la vie de Alexia.
Alexia Franck : C'est tellement particulier l'univers des roses. J'ai bien pensé à utiliser d'autres pétales mais franchement il y a une telle variété, une telle poésie dans les roses que je ne suis pas certaine que j'en changerai un jour. Mon père m'avait transmis sa passion mais il a fallu une rupture pour que je m'en rende compte et surtout un jardin pour que cette passion puisse se révéler. Elles sont en moi en fait.
LMdO : La vie de l'homme est semblable à la rose : le matin la voit fleurir, et le soir se défeuiller. Est-ce que vous pratiquez un art éphémère ?
AF : Au début oui certainement mais j'améliore les techniques de conservation. J'utilise également en complémentarité des roses qui ont subi d'autres traitements de séchages pour les préserver, spécifique à la fleuristerie professionnelle, mais je n'ai pas la diversité des coloris nécessaire à mon art. Alors j'aime cultiver les roses, mon jardin est un véritable laboratoire expérimental afin de sélectionner les coloris les plus résistants dans le temps. Toutes ces recherches et sélections me passionnent. Je n'ai pas dit mon dernier mot quand aux techniques de séchages ... Aujourd'hui ma technique fonctionne : les couleurs tiennent bien, le pétale reste en place. C'est encourageant. C'est d'ailleurs le côté un peu paradoxal de mon art. Je dois couper rapidement les roses pour les exploiter ce qui est un crime de lèse majesté pour un puriste. C'est d'ailleurs toujours un peu un jeu d'influence entre mon père et moi. Au début on ne se comprenait pas bien mais c'est maintenant clairement complémentaire. Il m'a transmis sa passion pour les roses, je l'exprime d'une autre manière. C'est ma façon à moi de lui rendre homage pour toutes les belles choses qu'il nous a transmises.
LMdO : 40 heures de travail par poupée, vous avez du mal à vous en séparer ?
AF : Tout est dans ma tête, je ne fais aucun croquis préalable. Je suis modiste, sculpteure, botaniste ... Mes personnages sont une partie de moi et je n'aime pas les voir quitter mon univers trop vite. Alors je les photographie sous tous leurs angles pour en garder un maximum de souvenirs. C'est aussi une façon de documenter mon travail. Mes clients sont des passionnés de roses aussi bien des femmes que des hommes d'ailleurs. Mes poupées sont demandées pour des mariages, des cabinets de curiosités et aussi pour le simple plaisir des yeux. Le regard des enfants est aussi attendrissant : mes poupées ont évidemment beaucoup de succès auprès des petites filles mais je surprends aussi les petits garçons à s'y intéresser. Bien sur, ce ne sont pas des jouets mais plutôt des fournisseur de rêves et de bonheur.
Les Roses de Daniel : le Site Web