L'atelier de Kaspar Hamacher, 37 ans, est caché à Raeren, un village des Cantons de l'est de la Belgique, à quelques minutes de la frontière allemande. C'est là, dans un lieu brut au sol recouvert de sciure de bois, son matériau de prédilection, que nous avons rencontré cet homme à l'appétit de travail presque hors norme.
Comment vous définissez-vous ? Comme un artiste ? Un artisan ? Un designer ?
Un peu des trois, probablement. À quoi bon le savoir ? Pourquoi doit-on forcément être mis dans une case ? Mon souhait, c'est d'être libre et de travailler dans ce sens.
Vos pièces en bois brut célèbrent la matière, le travail manuel et les arts appliqués. Comment est née votre vocation ?
Mon père était garde-forestier. J'ai grandi à la campagne, au milieu des bois, en lien direct avec la nature. Très jeune, je me suis intéressé au travail de Constantin Brancusi. Mon rêve, c'était de faire comme lui. Après une première formation dans le travail du bois à Aix-La-Chapelle, j'ai senti le besoin de quitter momentanément cet environnement. J'ai entrepris des études de design à Maastricht. Puis, j'ai travaillé en tant que chef d'atelier chez Casimir à Houthalen. C'est à cette période, vers 2008, que des galeristes et consultants en design ont commencé à s'intéresser à mon travail. D'un coup, j'ai compris que j'avais du potentiel en tant qu'artiste.
Sous vos airs un peu rebelle, vous avez un début de carrière riche en récompenses. Des étapes importantes dans votre parcours ?
C'est vrai que les encouragements de Bram Boo ou de Giovanna Massoni, mais aussi le prix Henri Van de Velde que j'ai remporté en 2011 m'ont permis de débloquer certaines choses en moi. J'avais besoin qu'on donne une légitimité à mon travail pour pouvoir avancer.
Pendant vos études à Maastricht, vous avez exploré d'autres techniques (verre, céramique, plastique). Lorsque vous êtes revenu au bois, vous l'avez envisagé différemment ?
Ce qui m'intéresse, c'est d'explorer toutes les frontières de ce matériau. En le brûlant, d'une part, mais aussi en expérimentant de nouvelles manières de le couper. Mon champ d'exploration est très large. Sinon, je m'ennuierais. J'ai travaillé un temps à Bruxelles en tant que designer, mais ce n'était pas pour moi. J'ai besoin d'être ici, dans mon atelier, en contact avec le bois. Je travaille majoritairement avec des essences locales, surtout du chêne.
Votre travail se veut très utilitaire. En marge de certaines pièces comme les 'Stein', des galets très sculpturaux, vous créez des tables, des chaises, des bancs, des tabourets...
Créer des icônes du design ne m'intéresse pas. Je veux que mes pièces puissent être touchées et utilisées. Les gens ont perdu le contact avec la matière et avec la nature. D'où l'importance de mettre l'humain au centre de mon travail.
Vous participez, grâce au soutien, entre autres, de WBDM, à des foires internationales. Comment envisagez-vous cette mise en lumière de votre travail ?
Grâce à ces foires, mais aussi aux galeries qui me représentent en Belgique et à l'étranger comme Spazio Nobile (BE) et Almond & Co (US), mes pièces rencontrent un vrai succès à Paris, à Londres, aux États-Unis. J'ai besoin de cette visibilité pour toucher un public d'acheteurs et de collectionneurs, mais aussi les architectes et les décorateurs tels Pierre Yovanovich à Paris ou Jean-Philippe Demeyer à Knokke, avec lesquels je collabore.
Votre discours est très direct. Vous ne vous embarrassez pas de messages compliqués.
Mes pièces doivent parler d'elles-mêmes. Même si le bois brulé a une symbolique forte, elle ne prend jamais le pas sur l'aspect fonctionnel de mes pièces.
Malgré ce pragmatisme affirmé et cet ancrage régional, votre travail s'exporte bien.
Le fait que mes pièces puissent, de mon vivant, rejoindre les collections de plusieurs musées me rend forcément très fier. Cette reconnaissance m'encourage à continuer mon exploration artistique dans des pièces uniques qui sortent de l'ordinaire tout en revêtant très souvent un caractère fonctionnel. Dès que j'ai une idée en tête, j'ai besoin de la réaliser. Tout de suite. Pour l'instant, je suis très inspiré par le Japon. Je tends vers davantage d'épure. Dans le futur, j'éprouve aussi le besoin d'aller vers des pièces de plus en plus brutes, imposantes et sculpturales. Fin 2021, je prépare un solo show au CID Hornu, une carte blanche que j'attendais depuis longtemps et qui me permettra justement d'exprimer librement mon ambition d'artiste et de sculpteur-designer.
On l'a compris, les blablas vous indiffèrent. Ceux liés à l'écologie aussi, on l'imagine...
Depuis toujours, j'ai cherché à créer des pièces qui durent plus qu'une vie. Alors, le marketing lié à cette tendance écolo, je m'en fiche, en effet. Je préfère, encore une fois, me concentrer sur mon travail, sur la quête d'équilibre qui figure au centre de ma démarche.
Interview par Marie Honnay
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