Rencontre avec Geneviève Levivier, fondatrice de "A+Z Design".
Innovations techniques appliquées au textile, travail artisanal sur base de matériaux nobles, approche éco-responsable du design... Bien qu'inconnu du grand public, ce studio belge à l'identité très marquée s'apprête à ouvrir un nouveau chapitre de son histoire. Rencontre avec Geneviève Levivier, sa fondatrice.
Comment pourrait-on résumer votre parcours ?
Pour rassurer mes parents – plutôt opposés à ce que j'entreprenne des études artistiques –, j'ai d'abord opté pour un cursus académique. Par la suite, j'ai étudié la sérigraphie à la Cambre et j'ai suivi des cours de peinture dans une académie pendant 11 ans. Il y a environ dix ans, j'ai toutefois choisi de m'accomplir dans la création. Avec, d'emblée, une soif d'innover tant dans le domaine artistique que sur le plan technologique. L'aspect recherche et développement figure au centre de ma démarche.
Au premier abord, votre projet peut sembler assez abstrait. Pourtant, il vous a ouvert les portes des plus grandes maisons de mode.
Sur base de mon premier projet – un tissu composite contemporain basé sur une dentelle de Calais traditionnelle réinventée grâce à l'ajout de polymères –, j'ai frappé aux portes des grandes marques de luxe. L'une d'elles – peut-être la plus connue de toutes – m'a répondu tout de suite. Dans la foulée, j'ai signé un contrat de confidentialité avec cette maison. Notre collaboration a duré huit ans. Chaque saison, je leur proposais de nouvelles matières en phase avec le thème de leurs collections. Toujours dans l'ombre. Ça faisait partie du contrat. J'ai également collaboré, de manière plus épisodique, avec Dior, Balenciaga, Alaïa...
Aujourd'hui, vous avez pris de la distance par rapport à ce secteur. Pourquoi ?
La mode est un secteur très exigent. Vous travaillez dans l'ombre, à un rythme extrêmement soutenu. Aucune approximation n'est possible. Comme mes produits étaient très spécifiques et que rien de ce que je créais ne portait ma signature, je risquais, un jour ou l'autre, de tout perdre et ne plus pouvoir rebondir. Je voulais me repositionner avant qu'il ne soit trop tard. Neuf ans après le démarrage de mon activité, j'ai donc choisi de plancher à nouveau sur mon business plan. Lorsque j'ai envisagé de changer de registre, j'ai capitalisé sur les tapisseries contemporaines que j'avais pu présenter, en marge de ma première activité, dans le cadre d'expositions internationales organisées, entre autres, par WBDM.
Vous avez toutefois gardé un pied dans le milieu de la mode. En toute franchise, entre mode et design, avez-vous une préférence ?
En 2016, j'ai en effet lancé une collection d'écharpes en laine et cachemire. En tout, j'ai créé une petite quarantaine de motifs. Il s'agit de réinterprétations abstraites de mon travail sur les matières et les textures. En soi, ce produit cadre avec mes autres projets puisqu'il repose sur une recherche technique très précise. Pour éviter que la matière ne se distende, j'ai notamment fait en sorte que la soie – déclinée en deux mètres de long – ait le même poids que la doublure en cachemire. Et pour que le résultat soit optimal, les deux faces sont assemblées à la main. J'ai mis des mois à trouver la personne capable de réaliser ce travail.
Malgré votre enthousiasme manifeste à l'égard de cette ligne de foulards, vous avez décidé de faire du design votre priorité.
Je viens de participer au salon parisien Maison & Objet. Ce fut l’occasion de présenter mes produits aux prescripteurs du secteur (designers, architectes d'intérieur...), mais aussi à des galeries, espaces d'art et à des particuliers. À l'heure actuelle, mes tissus opaques et translucides peuvent être déclinés en revêtements muraux ou de colonnes, en paravents et en une foule d'autres applications. Nous gérons nos projets dans une idée de sur-mesure, le plus souvent in situ.
Quand vous évoquez votre travail, on sent que votre créativité et votre désir d'innovation ne connaissent aucune limite.
Au studio, nous accordons une importance toute particulière au rendu esthétique de nos produits, mais aussi à la qualité textile. D'autant que le processus créatif et de recherches techniques est élaboré en interne. À ce niveau, je collabore d'ailleurs étroitement avec Pierre-Yves Herzé, mon mari, un ingénieur chimiste passionné, tout comme moi, par cette recherche sur la matière et les couleurs. Dés le début de cette aventure, j'ai travaillé sur base de polymères ‘ecofriendly’ garantis sans solvant. Nos matières sont en outre d'une grande souplesse et dotées d'un touché peau très agréable.
Parlez-nous de l'Eggshell, votre nouveau bébé. Lui aussi repose sur un long processus de recherche et développement.
Le point de départ de cette ligne, c'est l'Exposition universelle de Milan en 2015. J'ai été sélectionnée dans le cadre d'un appel à projets sur le thème du recyclage des reliquats de l'agro-alimentaire. J'ai imaginé, à base de coquilles d'œufs recyclées, une matière à la fois souple et résistante aux UV. Pour susciter la curiosité des visiteurs, je l'avais présentée sous forme d'une grande robe très spectaculaire. Ce prototype a attiré l'attention de la Délégation française qui l'a empruntée pour animer le pavillon de la France pendant toute la durée de l'Expo. Ce choix étonnant m’a particulièrement honorée. Lorsque j'ai décroché une bourse d'innovation de la Région wallonne pour ce projet, j'ai compris que l'Eggshell constituait une opportunité unique de me repositionner en dehors de mon créneau mode.
Vous aimez brouiller les pistes. En témoigne la série de poufs que vous venez de présenter au salon Maison&Objet.
Je joue volontiers avec le concept de trompe-l'œil. J'adore quand on croit apercevoir du métal, mais qu'il s'agit en fait de laine ou qu'on puisse confondre un tissu et un polymère. Cette magie créée par des matières inconnues et surprenantes, c'est un peu ma signature. Une signature que j'ai, cette fois, bien l'intention d'exploiter au maximum.
Par Marie Honnay
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