Christian Du Brulle, de la plateforme Daily Science, a rencontré Lucy de Selliers dans le cadre d'une mission organisée par le Service Recherche & Innovation de Wallonie-Bruxelles International en Suède. Découvrez son interview.
On connaît l’hippothérapie, cette méthode qui met en contact un patient et un équidé dans un but thérapeutique. En Fédération Wallonie-Bruxelles, un certificat universitaire dans ce domaine a déjà été proposé par la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’UCLouvain. À l’Université Libre de Bruxelles, Lucy de Selliers explore désormais une facette de cette relation entre l’être humain et le cheval. Dans le cadre de sa thèse de doctorat, entamée l’an dernier grâce à une bourse de la Fondation Prince Laurent, elle s’intéresse aux effets sur la santé des interactions tactiles entre les femmes et le cheval.
Pourquoi seulement les femmes ? « Parce l’équitation est un sport très féminin », explique-t-elle. « Mais aussi parce que dans le cadre de cette recherche, se concentrer sur les femmes permet d’éviter de dédoubler notre échantillon, à cause de différences hormonales entre les sexes ».
Des hormones et des dosages d’hormones, il en est effectivement question dans sa recherche supervisée par la Professeure de neurophysiologie et de neurosciences cognitives Claude Tomberg, en Faculté de médecine (ULB). D’autres biomarqueurs seront également pris en compte par Lucy de Selliers. Pour mieux cerner les effets bénéfiques d’un contact tactile entre un être humain et un cheval, elle espère pouvoir soumettre trois fois 48 participantes et autant de chevaux, recrutés à Bruxelles, mais aussi, voire principalement, en Wallonie, à ses batteries de tests.
Pourquoi trois fois 48 volontaires ? Parce qu’outre son protocole de recherche lié à de véritables interactions tactiles (de type caresse) entre l’humain et l’animal, elle entend doubler ses résultats avec un échantillon où le cheval sera remplacé par une simple couverture, de telle sorte que les récepteurs tactiles de la main de la personne soient activés comme dans l’interaction avec l’animal, mais sans l’aspect émotionnel lié à la présence de l’animal. Ceci lui permettra d’analyser spécifiquement les voies nerveuses impliquées. Le troisième groupe étant un groupe contrôle, sans interactions tactiles directes avec l’animal.
Deux axes de recherche
« Ma recherche s’articule autour de deux axes principaux », expliquait Lucy de Selliers lors de la mission équine organisée en Scandinavie par le Service Recherche et Innovation de Wallonie-Bruxelles International. Une mission mise sur pied par l’Agent de Liaison Scientifique de WBI en Suède, le Dr Henri Sprimont, vétérinaire.
« Nous allons, d’une part, analyser l’impact émotionnel de l’interaction ; et d’autre part, nous allons investiguer si le bien-être rapporté empiriquement par les personnes lors de ces interactions améliore le fonctionnement du cerveau ».
« Pour l’aspect émotionnel, nous allons analyser les comportements et les expressions faciales des deux protagonistes, la propriétaire et son cheval. En parallèle, nous allons analyser une série de biomarqueurs physiologiques mesurés simultanément chez la personne et chez l’animal. Il s’agit de l’activité cardiaque enregistrée via des ceintures thoraciques adaptées à chaque espèce. Nous allons également réaliser des prélèvements de salive chez chacun de ces duos pour en retirer de précieuses informations sur le dosage de certaines hormones: le cortisol, hormone du stress, et l’ocytocine, l’hormone du bien-être ».
Bien entendu, les volontaires auront aussi à répondre à divers questionnaires lors de ces séances: biologiques et psychologiques. Et ce, à différents moments pendant le protocole, avant et après les contacts tactiles avec le cheval.
Pour le fonctionnement cérébral, Lucy de Selliers enregistrera des activités cérébrales (de type EEG) évoquées par une stimulation tactile et les comparera avant et après l’interaction avec le cheval, afin d’explorer si notre cerveau traite plus efficacement et plus rapidement les informations sensorielles après interaction.
Surveillance des micro-expressions faciales
« Au cours de cette étude, nous formons l’hypothèse d’une diminution du stress, tant chez l’animal que chez l’être humain suite aux interactions tactiles », souligne la doctorante. « Ce qui pourrait aussi se déceler grâce à l’analyse des signes physiques chez le cheval. Ses micro-expressions faciales et le clignement spontané des yeux sont de bons biomarqueurs comportementaux pour étudier son état mental ».
Lors de ces expériences, tout sera filmé afin de capter un maximum d’informations comportementales.
À Göteborg (Suède), une équipe de chercheurs travaille sur les fibres tactiles. Elles jouent ici un rôle important. Mesurer leur activité au bout des doigts de la cavalière apportera encore plus d’informations à la chercheuse sur les interactions.
« Au final, nous espérons pouvoir montrer une évolution vers des états émotionnels positifs chez l’être humain comme chez l’animal après des interactions tactiles », résume Lucy de Selliers. « De quoi apporter des éléments de compréhension des mécanismes à l’œuvre dans le cadre des séances d’hippothérapie. Nous travaillons ici avec des personnes en bonne santé. Mais nos résultats pourraient ensuite intéresser les hippothérapeutes ».
« Parallèlement, nos travaux devraient éclairer davantage sur le type de tempérament des chevaux qui pourrait le mieux convenir pour les séances de médiation animale et d’hippothérapie », conclut-elle.
Retrouvez l'ensemble des articles de Christian Du Brulle sur la plateforme Daily Science, avec le soutien de Wallonie-Bruxelles International.