La Belgique représente un territoire de 30 528 km2 avec une population de 11 239 755 habitants ce qui à l’échelle de la Chine la place tout au plus au rang d’une grande ville. Alors que l’intérêt pour développer des programmes de « Smart Cities » connaît une ampleur sans précédent on pourrait se demander si ceux-ci sont applicables aux villes belges et à d’autres villes de moindre importance d’autant que l’on ne dispose pas d’une définition unique explicite. Ce flou est une aubaine pour les politiciens qui peuvent s’en servir comme ils le souhaitent pour se donner une image branchée ou connectée.
On caractérise de ville intelligente celle qui utilise des technologies informatiques pour rendre les composants critiques de l'infrastructure et des services d'une ville - qui comprennent l'administration de la ville, de l'éducation, de la santé, la sécurité publique, de l'immobilier, le transport et les services publics - plus intelligents, interconnectés et efficaces.
Bien que de taille limitée, les villes belges sont également confrontées aux problèmes de gestion de trafic, de sécurité, de communication avec la population pour toutes les démarches administratives, de logement etc. mais cela fait plus d’une vingtaine d’années que les organes de gestion des grandes villes belges adressent les défis que posent une communauté urbaine et la gestion de ses infrastructures en ayant recours aux technologies informatiques. En bref on n’a pas attendu les « smart cities » pour réaliser des cartographies numériques organisées en système d’information géographique avec toutes les applications de gestion des réseaux, du cadastre, de l’éclairage public et de l’optimalisation des transports en commun notamment. Les outils d’e-gouvernance ne datent pas d’hier non plus.
Or ce que nous attendons tous d’une ville – en Belgique et en Chine - c’est qu’elle soit accueillante, chaleureuse et surtout désirable pour tous et par tous. Un espace qui favorise l’émergence de nouvelles communautés de vie. Ne devrait-on pas commencer par développer des villes sensibles plutôt qu’intelligentes ? Mettre la personne au centre et non la technologie ? Utiliser la technologie pour relier les personnes à leurs espaces qui deviendrait interactif ?
Une ville sensible doit être - selon notre approche - capable d’enregistrer et d'exprimer ses sentiments, qui vous rappelle que vous faites partie d'une communauté, que c’est l’espace où nous travaillons, étudions, commerçons, vivons et nous détendons entre amis et familles ... avec des petits coins charmants et un environnement dont l’histoire marque et continuera de marquer l’évolution industrielle, artistique, culturelle et technologique. Une ville dont la gestion est efficiente et discrète. Une ville soucieuse et aussi sensible à tous ses habitants, adaptée à chacun, mal voyants, à mobilité réduite, pauvres, émigrés...
Si cela paraît poétique ou utopique, il faut savoir que les technologies à mettre en oeuvre pour développer des villes sensibles sont plus ambitieuses que celles engagées pour les smart cities car en effet, quand nous voulons nous exprimer nous avons recours à tous nos sens. Et les sens dont nous disposons sont aujourd’hui relayés et amplifiés par les senseurs (capteurs) que l’Internet connecte également (Internet of Things en abrégé IoT).
Un banc public ou un arbre, garni de tels capteurs, sera alors capable de mémoire, d’exprimer ses sensations. Froid, pluie, chaleur, pollution, les saisons ... on le retrouvera sur le réseau social des bancs publics ou des arbres d’une ville et l’on pourra ainsi devenir plus proches. En traversant un pont ou une passerelle qui enjambe les rivières autour desquelles bien des villes se sont développées (utilisant le transport fluvial), celle-ci vous reconnaitra car vous vous serez enregistré sur la communauté développée autour de celle-ci. Elle sera attentive aux enfants et aux personnes à mobilité réduite. Un premier baiser sera alors mémorisé plus sûrement qu’un modeste tag que les pluies effacent bien vite. Une ballade en vélo connecté et géo-localisé, vous donnera la possibilité de partager non seulement les niveaux de luminosité, de bruit, d’état de la route, la qualité de l’air, mais aussi vos émotions avec vos amis et les responsables de la gestion urbaine. Toute personne, tout mobile devenant le vecteur d’une quantité de senseurs ambiants et géo-localisés.
Pour le laboratoire média (Media Lab) du célèbre MIT de Boston, USA, l’Internet des objets visent à enchanter nos espaces et par-delà nos villes qui deviendront plus sensibles. On parviendra à établir des cartographies émotionnelles des villes (cela se fait déjà en Angleterre et aux Etats Unis) car depuis qu’Italo Calvino (écrivain Italien) nous à parlé des villes invisibles on comprend qu’une ville en cache bien d’autres selon nos affinités, nos sentiments, notre vécu.
Les données des senseurs pourront également être échangées comme l’on partage aujourd’hui sur les réseaux sociaux des photos, des textes et des statuts. Plutôt que d’analyser les flots impersonnels de Big Data, ce sont les résidents de la ville sensible qui relaieront les informations susceptibles d’aider les responsables de la gestion urbaine. Et la mise en commun de ces informations gratuites ou monnayées, permettra en temps réels de les exprimer par des nouvelles techniques médiatiques sur des écrans 3D ou autre médias à inventer.
Pouvoir entendre les objets urbains s’exprimer, fera aussi relever les têtes blondes qui aujourd’hui plongées dans leur tablette, vivent dans un monde virtuel de solitude dissimulée par des relations cybernétiques. Interagir avec le monde réel, s’engager et participer, devenir responsable demande un effort qui nous le savons par les enfants, s’estompe vite quand il se joue ! Et l’Internet des objets connectés se joue.
Une partie des données des senseurs installés sur les infrastructures, dans les transports en commun, dans les espaces publics sera ouverte à toutes les imaginations pour créer de nouvelles applications génératrices d’emploi et de nouvelles entités économiques.
Les villes en devenant sensibles, ne deviendraient-elles pas dès lors intelligentes ? Les côtés gauche et droit du cerveau ne font ils pas partie de la même tête ? C’est ce que nous développons et croyons avec l’équipe d’architecte, d’ urbaniste, spécialistes IT, géomètres, développeurs de logiciels, spécialiste des médias et des professionnels de création d’événements médiatiques ainsi que des artistes et des responsables de la gestion urbaine aidés par les institutions académiques.
Cette forme « sensible » de la Ville ne sera pourtant pas le fait de l’administration. Ce sera la contribution d’entreprises à créer et d’initiatives privées qui devront accéder aux données publiques et à celles partagées de manière collaborative pour développer les applications et interfaces en imaginant des nouveaux modèles économiques pour assurer leur rentabilité. Les ressources de l’Open Source Hardware et Software, la mise en place des infrastructures (communication, positionnement, ...) sont liés à ce développement.
Si on ne peut pas acheter le bonheur et le talent, de même la créativité ne se produit pas en laboratoire ni ne se délocalise. La créativité nécessaire pour inventer les villes sensibles peut être favorisée et émulée par un échange multiculturel fort et c’est la raison pour laquelle nous croyons qu’une nouvelle relation doit naître au-delà d’un simple échange entre l’Orient et l’Occident. C’est cette motivation qui nous a conduit à proposer au parc de recherche en technologie géographique de Deqing, d’abriter un laboratoire dédié aux villes sensibles.
Namur en Belgique ou Deqing dans la Province de Zhejiang en Chine seront-elles les premières villes sensibles ? C’est ce que nous souhaitons pour que la prochaine fois que vous veniez à Namur, vous puissiez vraiment saluer Franswé sur la place d’Arme et qu’il vous réponde en wallon ou en chinois ... et qu’en empruntant la nouvelle passerelle vous puissiez entendre la mélodie que jouent la Sambre et la Meuse qui en se rejoignant dans un même lit, chantent l’amour d’une ville devenue le cœur des Wallons.
Joël van Cranenbroeck, Managing Director CGEOS – Creative Geosensing sprl-s