André Bertin, CEO de la société namuroise Coexpair, a pris la tête de la résistance au covid-19. Après des contacts avec un ami médecin, il se rend compte que la principale difficulté technique de ce combat, c'est le remplacement de pièces défectueuses dans les respirateurs, des appareils fondamentaux pour la survie des patients. André Bertin lance alors le projet UFMM (Urgent Fab Med Mat) et entraîne dans son sillage Safran Aero Boosters, Sonaca et FN Herstal. Entre autres.
Récemment sont apparus dans les médias divers articles sur des entreprises proposant leur aide pour combattre le covid-19. Et de façon peut-être surprenante, c’est le CEO d’une entreprise wallonne de l’aéronautique qui a largement contribué à lancer le mouvement : André Bertin, de Coexpair.
Au début, comme souvent, une relation personnelle. Le CEO connaît un directeur médical du CHC, à Liège. Ils se retrouvent dans la nouvelle implantation flambant neuve du MontLégia, sur les hauteurs de la Cité ardente, et l’ingénieur demande au médecin ce qu’il peut faire pour l’aider…
Le plus grand problème posé par ce coronavirus, c’est évidemment l’énorme besoin en respirateurs. Des respirateurs mis à rude épreuve en ces temps troublés, et dont il faut régulièrement remplacer des pièces. C’est là que Coexpair peut se rendre utile.
Rapidement, André Bertin lance le projet UFMM (Urgent Fab Med Mat), et détermine deux risques principaux. Le premier concerne des pénuries d’articles EPI, pour « équipement de protection industrielle », en l’occurrence des masques principalement mais également des combinaisons, et de consommables de machines de ventilation, les respirateurs. Le second risque concerne les machines en tant que telles : pièces de respirateurs et pousse-seringues, de petites pompes à perfusion permettant d’injecter de faibles quantités de fluide à un patient.
D’emblée, c’est le remplacement des pièces de respirateurs qui s’impose dans l’urgence. Certaines de ces pièces ne demandent qu’une adaptation minime, comme des tubes. D’autres requièrent des tests et une calibration, mais sans difficulté particulière (des filtres…). D’autres encore nécessitent des modifications techniques plus poussées, comme les capteurs de flux ou des soupapes. Pour la fabrication de ces pièces, divers processus se révèlent possibles : le moulage, l’usinage ou l’impression 3D. Le pousse-seringue est un cas à part, puisque Coexpair peut essayer d’adapter son propre injecteur en miniature.
Mais André Bertin voit plus loin… Il souhaite développer son propre respirateur. Dans l’urgence, cette machine présenterait une fonctionnalité nécessairement simplifiée, mais, partant d’une page (quasi) blanche, le CEO veut penser « out of the box ». Par exemple, pourquoi ne pas envisager d’emblée un respirateur pour plusieurs patients ? Surtout que des prototypes existent, développés par des universités - UCLouvain notamment - ou des laboratoires. En outre, André Bertin utilise les outils de management propres à l’industrie comme la gestion de projets propres à l'industrie notamment aéronautique, les sites web partagés, les outils numériques...
Cependant, André Bertin est conscient que Coexpair ne suffira pas, qu’il a besoin de l’appui de grands groupes…
Le message a immédiatement été entendu par François Lepot, le CEO de Safran Aero Boosters. André Bertin signale au géant d’Herstal quelles pièces peuvent rapidement poser problème dans les respirateurs. Dans les heures qui suivent, les équipes de Safran se mettent au travail. A l’heure de boucler cette newsletter – car tout va très vite actuellement – des prototypes de débitmètre, une pièce qui s’use particulièrement vite et qui risque d’être rapidement en rupture de stock chez les fournisseurs internationaux, vont être produits par la technologie 3D à partir de quatre plastiques différents. L’objectif est d’être prêt pour la production dans une dizaine de jours, dans les premiers jours d’avril.
Détail qui a son importance : Safran Aero Boosters ne facturera rien aux hôpitaux, considérant son action comme un geste citoyen…
Voisin et lointain cousin de Safran Aero Boosters, FN Herstal, qui avait déjà pris des initiatives directes vers les hôpitaux liégeois, dont le CHC, a également rejoint, dans une logique de pleine solidarité et afin de faciliter la coordination des efforts, la démarche pilotée par André Bertin. La proposition de FN Herstal est de mettre à disposition ses capacités techniques en impression 3D métal et polymère pour la fabrication de pièces pour respirateurs. Dans les starting-blocks, l'entreprise liégeoise est organisée pour s’engager dans l’étude et la réalisation des pièces concernées.
Enfin, la Sonaca a aussi embrayé en mettant immédiatement son expertise d’achat et de supply chain à disposition pour mieux cerner et séquencer les approvisionnements critiques de consommables comme les filtres par exemple.
Mais revenons à l'UCLouvain... Pendant qu'André Bertin lançait sa réflexion, l'université louvaniste partait dans la même direction, mais par un autre chemin : à travers son « Openhub ». Une autre entreprise de l'aérospatial wallon participe au mouvement, Aerospacelab. Son CEO, Benoît Deper, souligne la « belle interaction » entre le monde universitaire et celui des entreprises. Et le respirateur Breath4Life est sur les rails, et devrait être disponible dans les sept jours... Une machine créée pour répondre à une urgence, sans vocation commerciale.
Comme le souhaitait André Bertin, la boucle est bouclée… Les deux projets se rejoignent fort opportunément, et au moment de terminer cet article, 141 membres actifs travaillaient sur le projet de respirateur. Il y en aura plus quand vous lirez ces lignes...